Valérie Malek
Nous sommes attablées en bord de mer, les bâches claquent, la tasse de café se renverse, la tignasse de Valérie vole à tous vents, mais Valérie est elle bien ancrée au sol breton. Ses rêves, comme celui de venir habiter en Finistère, elle les poursuit jusqu'au bout. On pourrait la qualifier de pugnace mais elle est surtout tranquillement déterminée, que ce soit pour parler art, cuisine, combats syndicaux, monde de la presse, voyages...
Portrait d'une femme qui ne lâche jamais rien de ses rêves.
« Pendant mes vacances d’enfant chez mes grands-parents à Arles, il fallait juste traverser la petite place Joseph Patrat pour aller au cinéma. On y voyait des westerns, des comédies, mais un jour, ma mère s'est trompée de séance et nous nous sommes retrouvées devant Les Gauloises bleues, de Michel Cournot, un film sorti en 1968, avec Annie Girardot. Un autre monde s'ouvrait à moi : personnage sans domicile, jeune femme enceinte, errances… »
Elle se souvient aimer très tôt « mettre en scène ». « Avec les copines, on jouait des scènes d'amour. J’adorais ces allers-retours entre le jeu et l'observation. »
Des années collège, elle n’oublie pas la sidération ressentie devant Nuit et brouillard de Resnais, la force de l'image, son caractère angoissant. Puis c’est la découverte du cinéma étranger et des films d'auteurs : Tanner, Herzog, Godard, Truffaut… Mais la rencontre qui la marque à jamais, c’est le cinéma de Fassbinder.
Dans les années 80, étudiante en littérature et en histoire de l'art, elle lit beaucoup, se nourrit de toutes sortes de films, une manière de « vivre plein de choses, à toute vitesse, par procuration. » Versus lettres, c'est le théâtre qui l’emballe. Versus histoire de l'art, c'est l’école du regard pour apprendre le langage visuel, le cadrage, la lumière. « Je suis certaine de m'être formée à l'image en traînant dans les musées. Je me rêvais écrivaine de théâtre. J’ai écrit un acte mais une copine, Béatrice Sebbah, m’a dit d’en faire un court métrage. » Une subvention du GREC et c’est parti, on tourne ! Ce sera Charlotte chocolat, en 1986, avec notamment Serge Riaboukine et Andrée Damant, qui ira à Cannes dans la sélection du GREC.
A 26 ans, elle travaille comme assistante de production sur une série télé franco-américaine. « Concrètement, je ne faisais que traduire les scénari américains pour l'équipe de tournage. Cette expérience m’a laissée sur le carreau : je gagnais à peine ma vie, j’ai perdu la sécu. Je voulais tenter la FEMIS, mais mon père s’y opposait. »
Suivent trois ans dans une agence de publicité pour restaurants et même théâtres érotiques. Ça marche bien. Mais le rêve du cinéma continue.
En 1992, elle écrit et réalise Pin-up et Pénélope, subventionné par le CNC, sélectionné à Clermont-Ferrand et à Nantes. « Il y a aussi une étape importante : un stage de direction d'acteurs avec la Cie Sfumato de Sofia, qui est dans la même mouvance que Tarkovsky. On y travaillait Tchekov dans une vision singulière de l'Est. Ça m’a incité à persévérer. » Elle quitte la pub pour devenir journaliste dans la presse et fait ses armes durant trois ans en couvrant les banlieues. « Indépendante, j’ai travaillé dans pas mal de rédactions pour arriver à GEO, en 2000. J’y ai collaboré régulièrement pendant plus de vingt ans. »
Elle s’accroche. Toujours cette part de rêve qu’elle sait maintenant faire réalité. « Avec le numérique, je peux réaliser plus facilement des films, sortir des cadres, expérimenter, entre fiction, cinéma direct, documentaire. Ma petite caméra, c’est organique, un prolongement de moi. » En résidence au CICV (centre international de création vidéo, dans le Doubs), elle s’enthousiasme pour des créations libres, des artistes engagés, touche-à-tout, moins corporatistes, ça lui plaît !
Impossible de l’enfermer dans une case. Ses résidences, ses voyages, ses rencontres deviennent son mode de vie. Elle travaille où elle veut, le temps qu’elle veut.
Entre 2000 et 2007, elle filme sa grand-mère d’Algérie, autour des repas rituels du vendredi, à Paris. « Tentative d'épuisement d'un personnage », aurait dit Perec, mais Marcelle jusqu'à sa mort à 96 ans est inaltérable, indestructible, et cela fait tout le charme du film.
En 2008, mandatée par le Centre Culturel Français à Amman en Jordanie, Valérie anime un atelier de réalisation. Cette expérience se prolonge trois ans. « Lors des ateliers, j’ai formé Zeina Kalouti, une jeune architecte palestinienne. Notre amitié débouchera sur le film Un autre monde dans tes yeux, en 2016. Je signe la réalisation, et elle, l'écriture du récit qu’elle porte avec sa voix dans le film. » Ce documentaire de création conjugue la réalité des camps de réfugiés palestiniens, la foi de l’islam et la société moderne arabe.
Retour en Bretagne où elle séjourne régulièrement depuis les années 1990. « À Saint-Brieuc, je travaillais sur les cabanes du Valais. Quand la préfecture les a menacées de destruction, je me suis dit qu’il fallait à tout prix préserver ce patrimoine ouvrier. Avec Nina Believa, j’ai réalisé Ma Cabane au paradis, produit par Planète Thalassa, en 2013. »
Suivra, en 2015, une commande du CCAS de la ville de Ploufragan qui est sur le point de détruire de vieux HLM pour rénover le quartier de l’Iroise. « J’ai vécu une année dans la cité pour connaître son histoire liée à l’usine Chaffoteaux et Maury. Mais c’est la générosité des habitants, leur amitié qui sont le moteur d’Itinéraires à l'Iroise. Mon travail de documentariste se fait dans cette immersion, cette empathie. »
En 2017, elle passe plusieurs mois en Ille-et-Vilaine. Une Œuvre d'art dans mon salon, tourné à Bazouges-la-Pérouse, explore avec simplicité les relations que ses habitants entretiennent avec l'art. Il faut dire que ce petit bourg rural peut s'enorgueillir d'un site d'expérimentation artistique : trois galeries ouvertes toute l'année, des œuvres d'art prêtées par le Frac, des artistes en résidence. Un des habitants résume : « Si je ne comprends pas pourquoi François Pinault dépense des millions dans des tableaux, c'est juste parce que l'on ne m'a pas expliqué. » Valérie tente, elle, de nous expliquer comment l'art nous est indispensable.
Entre 2017 et 2019, la route nous emmène plus loin, dans les sables du Sud tunisien avec la réalisation de Tilo Koto, signée avec Sophie Bachelier. A Médenine et Zarzis viennent s'échouer des candidats à l'exil qui n'ont pas réussi la traversée de la Méditerranée. Parmi eux, Yancouba Badji que nous retrouverons dans son village de Casamance où il tente de revenir à la vie grâce à la peinture. Pari réussi pour lui, ses toiles sont aujourd'hui exposées dans des galeries d’art. Pari réussi pour les réalisatrices, qui au-delà des nombreux prix reçus, peuvent se targuer d'avoir véritablement bougé les lignes - et les foules - lors d'une quarantaine de projections débats menés en France depuis la sortie du film en 2019.
Valérie reste modeste quant à son engagement mais, avec cette fichue manie de ne pas lâcher ses rêves, on sait qu'elle y est pour beaucoup. Alors retentit son rire à décorner tous les vents de Bretagne. Son rire qui reste comme elle inclassable !