Pierre Perrault

Cinéma direct au Québec

 

Contribution de Jean-Paul Mathelier

Poète, cinéaste, essayiste, écrivain, voyageur, Pierre Perrault fut l’un des artisans majeurs de la renaissance québécoise, mais aussi un pionnier du cinéma documentaire moderne de renommée internationale. Par son œuvre poétique, ses films, mais aussi son œuvre radiophonique et théâtrale, il est une conscience vive, qui s’interroge sur l’avenir de son peuple dans les rapports de force du monde moderne.

Son engagement radiophonique durant des mois d’enquête, à parcourir le pays avec le lourd magnétophone pour amasser obstinément la matière sonore, sera une étape importante dans la construction identitaire de Pierre Perrault, qui abandonne les livres pour lire les hommes. Il dévoile un autre monde, celui du vulgaire et du vernaculaire, où quelque chose en lui de sauvage se reconnaît. Grâce à la radio et grâce au magnétophone, Pierre Perrault se découvre apprendre à vivre en vivant.
Il se préoccupe autant du récit lui-même que du langage qui le véhicule.

Puis il va de nouveau parcourir, avec René Bonnière, le pays le long du fleuve Saint-Laurent pour accomplir 13 films d’une demi-heure dans la série Au pays de neufve France. Le film pilote de la série, La Traverse d’hiver à l’Isle-aux-Coudres, le seul en noir et blanc, est proche d’une facture de documentaire classique, avec un commentaire de qualité écrit par l’auteur. À la différence toutefois qu’il est rare de voir le réalisateur embarqué dans l’action avec ses personnages, à bord d’un des canots entre glace et saignées d’eau. Cette complicité et cet accord entre le cinéaste et les gens filmés inaugurent une démarche singulière qui marquera toute sa carrière.

Dans le bouillonnement créatif de l’équipe francophone de l’Office national du film du Canada, s’imprégnant de cette expérience, qui bouleverse la façon de procéder du documentaire pour faire de lui le cinéaste qu’il est devenu, Pierre Perrault apporte une conscience aiguë et inédite du potentiel que l’on peut tirer de l’enregistrement et de la valeur de la parole.
Ne dit-il pas qu’il a appris le magnétophone, comme on parle d’un instrument de musique ?

Pour la suite du monde, réalisé en 1962 avec Michel Brault et Marcel Carrière à l’Isle-aux-Coudres, sera l’acte de naissance du cinéaste Pierre Perrault, qui, à partir de ce film, va développer une œuvre cohérente totalement consacrée à son pays.
« J’irai même jusqu’à dire que je ne fais pas du cinéma pour faire des films, mais pour mieux connaître l’Homme… »

Il va poursuivre sa quête du Québec dans une écriture cinématographique qui interrogera jusque dans ses derniers films la réalité du cinéma documentaire.
Cette démarche cinématographique de Pierre Perrault qu’il nomme « caméramage », pleinement irriguée de sa conscience québécoise, est une œuvre cohérente et féconde qui s’appuie sur le particulier pour accéder à l’universel.

Son œuvre peut se décliner en plusieurs saisons cinématographiques :
– Au pays de neufve France.
– La trilogie de l’Isle-aux-Coudres.
– Le fleuve (dont une traversée en voilier de Saint-Malo [Québec] à Québec, interrogeant la mémoire de Jacques Cartier dans Les Voiles bas et en travers puis La Grande Allure)
– L’Homme et la nature, avec sa part de cinéma auprès des Amérindiens : Le Goût de la farine.
– Le cycle abitibien, dont C’était un Québécois en Bretagne, Madame !
– La quête d’identité collective : Un pays sans bon sens !, L’Acadie, l’Acadie !?!
La couverture du dernier texte écrit avant sa mort, Partisme, qui est un recueil posthume, le montre carnet de notes à la main, assis sur un rocher devant Saint-Malo. À travers la figure emblématique de Jacques Cartier, qu’il affectionnait, Pierre Perrault entame une réflexion singulière sur la trajectoire de la vie des hommes de l’Amérique.

Il est précieux d’imaginer que l’activisme poétique que manifeste toute son œuvre soit autant d’actualité aujourd’hui. Mais somme toute, Pierre Perrault est plus à même que tout chroniqueur à son sujet pour dire l’urgence de passer « de la parole aux actes » :
« C’est grand temps, dit-il, de vivre en notre faveur et d’occuper notre territoire, afin que notre espérance de pays s’articule pleinement en langue, culture, société, économie politique, ces composantes nécessaires à un peuple libre et qu’on ne peut dissocier.
Cela ne peut se faire que dans une histoire qui n’oublie pas sa mémoire, assumée par tous et avec les maîtrises d’aujourd’hui et de demain. »

Jean-Paul Mathelier (février 2014)

Le livre d’entretiens avec Pierre Perrault : Activiste poétique. Filmer le Québec, entretien avec Simone Suchet