Habiba Djahnine

ou d'autres regards sur l'Algérie...

  

Habiba Djahnine est algérienne, poète et documentariste.
Celle qui a choisi Timimoun, oasis saharienne, pour port d’attache, passe cependant beaucoup de temps sur les routes.
Béjaïa en Kabylie, d’où elle est originaire et où elle initia des Rencontres cinématographiques en 2003.
Alger ou d’autres petites villes, pour rencontrer, épauler, former des stagiaires de tout le pays, dans le cadre de Béjaïa Doc, qu’elle créa en 2007.
Hassi Messaoud, dans le désert, pour un prochain film.
L’Europe, pour chercher des soutiens, ou pour de courtes pauses, poétiques parfois.
Habiba, grand rire en bandoulière, énergie déployée, déterminée à dire son Algérie. Avec des plus jeunes à ses côtés.

Habiba, comment naît ce désir de cinéma ?

En 1995, ma sœur Nabila, militante féministe, a été assassinée à Tizi Ouzou. Quelques jours après, j’ai dû m’exiler en France, avec une partie de ma famille. Les questions sans réponse me taraudaient, l’écriture ne me suffisait plus et j’ai très vite décidé de me former au cinéma. Je suis passée par des cours avec Jean Rouch, la Sorbonne, des sessions de formation à Lussas.

Ce fut long ?

J’ai mis onze ans à accoucher de ce film, et la réalisation s’est étalée sur cinq ans.
En 2006 sort enfin Lettre à ma sœur. Un réquisitoire tranquille contre toutes formes d’intégrisme, une lettre non violente pour apprendre à reconstruire, un hommage aux femmes aussi. Pour moi, une façon de faire reculer la peur et de reprendre pied avec la société algérienne. Parallèlement, j’ai commencé à m’interroger sur les images algériennes. Tout allait de concert, comme une tranquille évidence.

Pourquoi avoir, en 2003, créé les Rencontres de Béjaïa ?

Les dix années noires avaient totalement détourné les Algériens des salles de cinéma. Les intégristes de tous bords avaient littéralement confisqué la parole, et aucun débat ne pouvait plus avoir lieu. Les Rencontres furent un moyen de réfléchir ensemble aux images que l’Occident véhiculait sur nous, et à celles que nous voulions faire de nous-mêmes. Ce fut aussi une bouffée d’air frais, nous invitions quantité de réalisateurs ou professionnels de l’audiovisuel de partout à venir réfléchir avec nous. Les Bretons ont été particulièrement actifs au cœur de ce dispositif, avec la participation de la Cinémathèque de Bretagne, du Festival de Douarnenez, de Travelling Rennes. Claude Arnal a pansé les blessures du projecteur de Béjaïa. Gilbert Le Traon y a filmé Pierre Clément, opérateur de Vautier, disparu peu de temps après.

Les conditions étaient-elles difficiles ?

À l’époque, l’État ne souhaitait pas subventionner ce genre de manifestation. Et pas davantage aujourd’hui. Nos initiatives n’existent que grâce aux appuis internationaux. Aujourd’hui encore, le ministère de la Culture multiplie les événements à paillettes, comme des journées du cinéma jordanien, une semaine du cinéma arabe, mais ne prend pas en compte la globalité de la filière audiovisuelle. Prenons la diffusion : seules vingt salles équipées subsistent dans tout le pays, partout ailleurs il faut improviser. Nous nous déplaçons avec notre matériel de vidéoprojection. Quant aux cinémathèques algériennes, qui connurent leur heure de gloire dans les années 1970, elles n’en sont que le pâle reflet, et ont été vidées de leur substance. Beaucoup d’initiatives privées de distribution des films ont échoué. Or, nous avons un besoin d’images criant, et nous ne pouvons nous contenter de miettes…

Les Rencontres ont ceci de singulier qu’elles conjuguent formation et visionnages, réflexions sur la diffusion, et projets d’éducation à l’image.
Oui, il est plus que temps que nous documentions nous-mêmes notre passé, notre présent, notre avenir. Les filières cinéma, hormis des sections de techniciens ou quelques écoles privées, n’existant pas en Algérie, il faut structurer autrement : expérimenter, produire, remettre en cause. Depuis 2007, Béjaïa Doc a vu passer plus d’une cinquantaine de stagiaires. Chaque promotion ne concerne que huit garçons ou filles, de moins de 30 ans. Je ne leur demande qu’une seule chose : avoir un projet de documentaire sur un aspect de leur réalité, sur leur territoire. Pour les sélectionner, je fais le tour de l’Algérie, grandes villes comme petits villages… Au final, je suis les jeunes pendant un an, mais reste en contact par la suite. Ils passent beaucoup de temps sur l’écriture, puis se forment sur toutes les autres étapes de réalisation. Je fais aussi attention à rassembler des formateurs qui n’ont pas le même regard que moi. Je suis définitivement pour une pluralité de points de vue.

Peut-on voir les films ?

Oui, nous les avons sous-titrés et avons édité un coffret de DVD. C’est un début de collection, une façon de documenter notre Algérie. Les films commencent à tourner dans les festivals, une jeune femme a été formée pour suivre leur diffusion. Les anciens stagiaires ont créé un réseau pour assurer une veille autour des offres d’emploi dans l’audiovisuel. Ils travaillent aussi sur des films de commande. Et animent des ciné-clubs, rouage indispensable de ce dispositif.

Tout cela n’est-il pas trop prenant ? Tu continues à faire tes films ?

Cette dernière année m’a laissée épuisée. Il faut être sur les routes tout le temps, les pressions institutionnelles sont éprouvantes. Je vais m’accorder une pause, pour mieux envisager les issues pour ces formations. J’ai aussi un film en gestation, sur les femmes de Hassi Messaoud, une cité pétrolière au cœur du désert, où nombre de femmes seules se sont établies pour travailler. Un sujet difficile. Et puis, je suis venue dans ton beau pays pluvieux pour écrire… de la poésie peut-être ? Tout ici m’y incite !

  • J’ai habité l’absence deux fois de Drifa Mezenner
    http://youtu.be/w8jLzintCz0
    un film de la promotion 2011, en intégralité
    Le coffret des 30 DVD des ateliers est en vente auprès de Kaïna Cinéma.

FILMOGRAPHIE

  • 2011 Saphia. Une histoire de femme
    23'
  • 2011 Avant de franchir la ligne d'horizon
    64 ' Un regard sur 20 ans de mobilisation/répression politique en Algérie, à travers la parole de femmes et d'hommes militants.
  • 2010 Retours à la montagne
    51' Tour d'horizon sur le développement durable en montagnes
  • 2009 Autrement citoyens
    55' Ce film porte une regard différent sur diverses associations algériennes, toutes très combattives, issues véritables pour la société.
  • 2006 Lettre à ma sœur
    77' Le 15 février 1995, à Tizi Ouzou, Nabila Djahnine, présidente de l'association Thighri N'tmetout, tombait sous les balles d'un groupe armé. Sa sœur Habiba revient vers ceux qui l'ont connue. Un magnifique plaidoyer contre la violence.
  • 2004 Migrants en Europe
  • 2002 Les métiers de proximité