Les films de Matthieu Quillet sur les migrants : petite musique entêtante
2008. On est à Montreuil, sous une tente en compagnie de travailleurs Maliens sans -papiers.
Ce sont les Corvéables, et le film est celui de Matthieu Quillet. Il y a un micro-ondes, pour tenir contre l'hiver, des nœuds en ficelles bleues pour amarrer les bâches de plastique solidement, de la boue dehors et des fleurs de soucis oranges dans de petits vases improvisés. Les vases disent le temps qui a passé, en tout, ils resteront huit mois en grève. On entend la voix du réalisateur Matthieu Quillet qui les questionne, en français, en bambara. Matthieu est de ceux qui font l'effort d'apprendre des rudiments de langue.
On entend donc ces ouvriers nous raconter les raisons de leur exode. Ils évoquent la pauvreté, la sécheresse interminable au Mali, la décision de partir pour aider leurs familles. Aujourd'hui, après un long exode, ils sont devenus les esclaves modernes de firmes qui sous-traitent eux-mêmes avec les grandes groupes : essentiellement dans le bâtiment, la démolition, le nettoyage, la sécurité. Ils sont invisibles ou invisibilisés, précaires, sûrs de travailler parce que mieux vaut embaucher un corvéable à merci, que l'on tient grâce à l'absence de contrat en bonne et due forme.
Ils disent les journées interminables, les transports, le peuple de la nuit qui se lève à l'aube et rentre alors que la nuit est tombée. Ils disent les contrats sans lendemains, la vie en foyers, les arrestations.
La dignité bafouée.
L'un deux raconte : j'ai été arrêté parce que contrôlé sans-papiers, menotté, balancé dans un fourgon, qui était lui même garé devant une école. Par les grilles du fourgon, je pouvais lire sur le fronton de l'école Liberté, égalité, fraternité... Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Je ne suis pas un bandit ! termine -t-il, dans un rire un peu triste.
Leur lutte durera huit longs mois, ils obtiendront quand même des promesses d'embauches et des régularisations par le travail d'un an. Mais pour des contrats précaires et sous-payés.
Nous sommes en 2008, rien n'a changé depuis. Sinon que d'aucuns agitent la menace pour notre pays de ces ouvriers exilés chez nous, venus de pays colonisés par nous, et qui font ces métiers dont nous ne voulons plus.
Nous présentons plusieurs documentaires de Matthieu Quillet, parfois à la lisière du reportage. Les moyens de Matthieu sont réduits, parfois à la plus simple expression : il filme, enregistre, monte et produit lui-même, dans l'urgence de témoigner. Parfois, il prend plus de temps, mais le plus souvent, il témoigne : ainsi ce cri de colère d'une institutrice qui voit des enfants de sa classe disparaître du jour au lendemain. Parce que sans-papiers. Regardez aussi Lettre de Laure Véziant.