Ça tourne à la campagne ! un coup de cœur pour Sylvain Bouttet
Une page s'est tournée sous nos yeux... rares sont les commerçants ambulants sur nos routes de campagne. Pourtant, on mesure en grimpant avec eux dans la camionnette, comme le fait le réalisateur Sylvain Bouttet dans Ça tourne à la campagne, combien précieuses étaient leurs tournées. Il faut dire que les images datent du tout début des années 2000.
Bouchers ayant repris le métier après le père, épiciers dépanneurs, poissonnière affable, vendeur de vêtements gouailleur et un brin macho, ils prennent le volant par tous les temps. Et s'en vont au plus près des fermes, garés parfois sous la fenêtre pour éviter à une vieille dame de sortir, reconnaissant le bruit des pantoufles d'une autre cliente qui s'approche à pas feutrés... Ils savent beaucoup des attentes des clients, et des enfants des clients, et du grand-père aussi ; le morceau de viande espéré, le poisson préféré, la taille des culottes en coton …
Mais ils savent aussi la ferme en souffrance, les bêtes abattues, les brûlures à la main, et les petits-enfants qui passent moins. Les bribes de vies, les p'tits bonheurs aussi, le café chaud servi dans le verre en Duralex, et les p'tits coups servis dans les maisons, qui font que celui-ci a arrêté de faire l'ambulant, « on buvait trop à chaque arrêt, je me mettais en danger ».
Avant ou après la vente, c'est donc un festival de confidences que surprend, sans aucun côté voyeur, Sylvain le filmeur. Les nappes cirées qui en ont vu d'autres, et les papiers peints fleuris, qui défilent en arrière-plan. C'est nos campagnes qu'il filme, avec leurs accents différents – pays gallo, côte du Cap Sizun, Centre-Bretagne, plage des Côtes d'Armor... De beaux portraits en noir et blanc, comme saisis au vol, viennent ponctuer toutes ces rencontres. On pose devant le portail neuf, ou devant les casseroles bien astiquées. On a sa fierté, toujours. Même quand la solitude rôde.
D'ailleurs, on apprend beaucoup de choses dans ces cours de ferme et cuisines. Que l'on peut se brûler avec les côtes de porc, que des conjoints peuvent mourir à quelques heures de distance, que les Australiens sont sujets aux cancers de la peau, qu 'au lieu-dit « Paradis», un homme s'est pendu. Ça a l'air tragique comme ça, mais ça ne l'est pas, c'est la vie qui file, qui roule et se déroule: « les Anciens, ils sont pas remplacés, c'est pas comme les vieilles voitures ».
Mais y a toujours des miracles, et parfois un tonitruant « V'là la bolée ! » qui retentit.
C'est aussi un tendre adieu à un monde rural qui s'effrite. Désertification, isolement, peu de transports en commun, effets pervers du remembrement... « On a vidangé nos campagnes, comme si on était en Amérique, plus de talus, les animaux en perdent la ciboule, et on a vu un lièvre perdu traverser le bourg ». Toutes les politiques désastreuses sont en route. «La faute à Chirac, il se croyait tout permis », renchérit un autre. Pour se consoler, on achète le boudin noir au centimètre, des culottes qui montent bien haut, et on re-sert du café, le beau service attend sur la toile cirée. Merci à Sylvain Bouttet d'avoir bu tous ces cafés, et avalé tous ces kilomètres, pour nous offrir ces campagnes en partage.
Merci à Aligal pour le partage.