Patrick Prado

L'homme aux basculements

Patrick Prado collectionne les casquettes, qui lui donnent le même air que son ami Job, pêcheur de palourdes morbihannais, avec lequel il pose. Casquette officielle de chercheur au CNRS, où il travaille sur l’anthropologie des idées. Casquette de réalisateur vidéo depuis les années 1970, où il fonde le collectif Torr-e-benn (Casse-leur la tête) avec, entre autres, Geneviève Delbos et Jean-Louis Le Tacon. Casquettes de monteur, de scénariste, de producteur, de voix off, de directeur de la photo, d’ingénieur du son. Casquette d’explorateur…

La pratique vidéo de Patrick Prado est celle d’un explorateur : refusant de se cantonner à un seul style ou à un sujet unique et autonome, il pose un regard curieux sur tous les aspects du réel, de ses mécanismes et métamorphoses. Des clips vidéo des années 1970, avec Jac Berrocal, musicien inclassable de la scène alternative, au documentaire Tempête, réalisé en 1988, et qui revient sur l’ouragan d’octobre 1987, qui dévasta la Bretagne. Du regard cynique posé sur la télé (La Mauvaise Mémoire, 1981, histoire d’un homme qui s’enroule autour des images) à celui, amoureux, posé sur l’amour (L’Amour transcodé) et au carnet de voyage, c’est l’expérience humaine qui est appréhendée, le flux de ses images, l’incarnation de ses passions.
Et il ne faudrait pas oublier Guern, les lampadaires du coin du pont et les fourmis noires, un petit mais inoubliable film militant, tourné en 1973 avec Torr-e-benn, et qui mêle Yvon Le Men et les compagnies de CRS, dans le Morbihan profond…
Ris ta vie (Riga, Tallinn, Vilnius), tourné en 1994, sous-titré en debordien, est un hommage art vidéo à… Guy Debord, fondateur de l’Internationale situationniste et auteur de La Société du spectacle. Ce dernier se suicide quelques jours avant le départ de Patrick Prado dans les pays baltes. Film situationniste ? L’histoire le dira.
Revenons au chercheur et livrons quelques titres de ses communications : « Territoire de l’objet : faut-il fermer les musées ? », ou l’article paru dans Libération « Leurs descendants meurent sur nos barbelés », une brillante interrogation sur la place faite aux descendants d’artistes dits primitifs, exposés quai Branly, alors que leurs enfants errent souvent aujourd’hui entre deux frontières, deux cultures. Ou encore une communication passionnante : « Et in Britannia ego, ou comment la Bretagne a toujours été présente dans le parcours de Patrick Prado. »
Enfin, deux films partagés par leur auteur, pour une série intitulée Basculements, sont à mentionner. Basculement 1 : Un secret bien gardé revient sur la fin d’un monde paysan, qui, aux yeux de Prado, est synonyme de graves désordres pour nos sociétés. Le Basculement 2 : Un monde enragé fait, lui, une large place aux mots de la poétesse Anjela Duval, qui décrit très tôt la fin d’un monde paysan traditionnel et raisonné, trahi par une agriculture intensive, qui aurait perdu la tête… Patrick Prado a aussi une casquette d’éveilleur de consciences… mais vous ne le verrez pas pérorer avec, il l’oublie volontiers sur le portemanteau !

Filmographie

  • 1971 Année lourde, jours légers
    25', APIC, le premier mai à Paris et première apparition des "minorités" sexuelles, Paris.
  • 1971, Les Maisons vides
    30', ACDL, Les luttes urbaines pour le droit au logement dans les années 70, Paris.
  • 1972 Manifestations bretonnes
    25', Torr e Ben, Les revendications ouvrières pour l'emploi et étudiantes pour la langue bretonne, Bretagne et Paris.
  • 1972, Anjela Duval au Vieux marché 1
    25', Torr e Ben, en breton et français, Un vieille dame, paysanne et poétesse, moissonne et raconte la vie des petits agriculteurs bretons, sa colère devant la disparition de la langue bretonne, Bretagne.
  • 1973, Guern, Lampader Korn er pont hag ar merien du (Guern, les lampadaires du coin du pont et les fourmis noires)
    32', Torr e Ben, APIC (collectif) en breton et français, La récupération par les habitants d'un village d'un chemin communal cadastré devenu propriété privée, Bretagne.
  • 1974, L’arbre
    APIC, (inachevé). Les principaux bidonvilles de la Région parisienne remplacés par les cités HLM.
  • 1976, Lundi soir, mardi matin,
    (INA), Paris, 7'. La révolte des jeunes à Paris, la musique de Métal Urbain, la manif à moto, le soir du « suicide » d'Andreas Baader et d'Ulrike Meinhof. Paris.
  • 1975, Fest-noz à Arzano
    (INA), Bretagne, 25 mn. Chanteurs de fest-noz : les "Trigleup an Arzaneu" (« les idiots du village ») à l'époque du renouveau des festou-noz. Bretagne.
  • 1976 Les Trigleup an Arzaneu
    25', INA, Chanteurs de fest-noz : les "Trigleup an Arzaneu" (« les idiots du village d’Arzano »), Un couple de chanteurs traditionnels bretons et paysans modernes à l'époque du renouveau des festou-noz, Bretagne.
  • 1977, Jilgré
    INA, 35', à la recherche d'une plante hallucinogène (datura stramonium ) si liée à la langue et à la culture paysannes que l'usage en disparait en même temps que la langue bretonne, Bretagne.
  • 1977, Anjela Duval au Vieux marché 2
    25', Torr e Ben, en breton et français. Cinq ans après, la fin de la ferme, Bretagne.
  • 1977, Anjela Duval et ses amis,
    10', Torr e Ben, en breton, voix off française, Les films précédents sont projetés lors d'un "café" dans la ferme d'A.D., Bretagne.
  • 1977, L'Art de la fugue,
    58', CNRS. Deux jeunes filles, Huguette et Viviane, quittent la ferme de leurs parents, petits paysans du Morbihan, et fuguent pour vivre leur vie en ville, à Lorient et Paris, Bretagne.
  • 1980, Diwan, Diwan,
    35', CNRS, La première école bilingue en breton et français, créée à Portsall-Ploudalmézeau en 1977, là où s'est échoué le pétrolier géant Amoco-Cadiz, Bretagne.
  • 1982, Le pays d'en-dessous,
    38',****, avec Michèle Blondel, CNRS-SERDAV, Mission du Patrimoine ethnologique, Prix du Patrimoine au Bilan du film ethnographique, 1983. Un vieil ouvrier du Creusot retrace dans la neige les plans de l’usine qui trouve encore au-dessous, l’artiste peintre M. Blondel lui fait son portrait, Le Creusot.
  • 1983, Población, 25', Min. des Relations extérieures, Media et Media, Un territoire en formation dans un des nouveaux bidonvilles de Santiago sous le général Pinochet, Santiago, Chili.
  • 1982, Anjela Digitale 3,
    630 mn., CNEXO Brest, Bretagne, Un « tombeau numérique » en hommage à A. Duval, cinq ans après sa mort.
  • 1985, Brest, continuo
    Ministère de la Culture, mission du patrimoine ethnologique. Brest rasé comme Dresde, comme Bagdad, Hiroshima, est reconstruite par le métronome. Je ne connaissais pas en réalisant  Brest Continuo  le « tic tac » du moulin de Novalis qu’il comparait au monde moderne et qui remplaçait la musique des sphères. Brest.
  • 1986, Shinjiki, Chronique des choses nouvelles, 42', DAP, ENBA, une exposition à Aix-en-Provence avec des artistes japonais, Poitiers, Aix-Marseille, Japon-France.
  • 1988, Tempête, An Avel diaoul (<Le vent du diable>)
    26', CNRS, Mission du Patrimoine ethnologique, FR3, (en breton et français), Un ouragan en Bretagne en octobre 1987, bouleversement dans la nature, crise dans la culture.
  • 1992, Deux cérémonies
    42', Grand Canal, DRAC, en espagnol et huichol sous-titré, Rite chamanique et rituel protestant dans un village huichol du Mexique occidental, Mexico, Paris.
  • 1994, Sainte Rita de Montmartre
    24',*** Sirius films, Canal +, Mission du Patrimoine, Ministère de la culture, CNC, PROCIREP, Grand Canal, Atelier Sud Vidéo .Les rituels rendus à la sainte des causes perdues et des cas désespérés dans une chapelle à Pigalle,Paris.
  • 2001, Ris Ta Vie (Riga, Tallin, Vilnius).
    Immersion pour Guy Debord, 16', Médias et Médias, Ministère des Affaires Étrangères, Paris.
  • 2008, Un Secret bien gardé, (Le Basculement n°1)
    Mirage Illimité, CNRS. Un village du Morbihan, en Bretagne, voit sa population remplacée par une autre (Grand prix Festival de docencourts,  Lyon, 2008) ***, Paris.
  • 2009, L’Ile-Shima
    Sur le film l’Ile nue de Kaneto Shindo, Mirage Illimité, Paris.
  • 2010, I tre sospiri di Venezia
    Venise, Paris.
  • 2011, Un Monde enragé, Anjela Duval, (Le Basculement n° 2)
    Montage des trois films précédents sur Anjela Duval, Mirage illimité, Boemerezh, Paris.

Pour redécouvrir Anjela Duval, à la suite de Patrick Prado

Les traductions de Paol Keineg : Quatre poires et les cahiers d’Anjela, numérisés par l’université Rennes 2 :
http://bibnum.univ-rennes2.fr/collections/show/15

Et le grand classique : La Société du spectacle de Guy Debord