Ivan Boccara

En pays berbère

Ivan Boccara est né au pied des contreforts du Haut Atlas, à Marrakech. Une enfance marocaine heureuse, puis l’inévitable retour vers la France. Très vite, une envie d’arpenter le monde. « User ses semelles à en emplir des valises », dit-il. Surgit pourtant le besoin de retourner au Maroc, de prendre le pouls de ces populations berbères qu’il connaît bien, de revoir ces gens qu’il affectionne. Pour cela, il prend son temps, et c’est essentiel à ses yeux. Ses films en sont d’autant plus précieux.

« Se dépêcher de prendre son temps. Zreb bach t’artel en arabe. Pour garder des traces de la mémoire de notre temps, pour l’histoire, pour les histoires que je veux conter à mes enfants. Peut-être parce que mon grand-père, parti trop tôt, me racontait des histoires ? »

Alors Ivan, en bon montagnard, va poser des pierres au bord du chemin. Pierre après pierre, tranquillement. Pour que nous sachions à quel moment le sentier caillouteux bifurque, comment gagner cette vallée insoupçonnée où nul touriste n’aurait l’idée de s’engager. Il parle lui-même, en observateur attentif qu’il est de la vie pastorale, « d’un sillon dont je ne connais pas les limites, et qui me ramène chaque fois au Maroc ».
Il dit obstinément, et c’est une de ses qualités, « chercher cette silhouette au bord de la route, chercher à attraper le passage du temps dans l’objectif de sa caméra ».

Côté cinéma, ce chef opérateur qui pratique aussi avec talent la photographie affirme des goûts éclectiques. Il s’est abreuvé des films de Jean Rouch (souvenir ému de La chasse au lion à l’arc), des films d’alpinisme de Jean-Paul Janssen, des films de la nouvelle vague (Pierrot le fou), ou des burlesques tendres de Charlie Chaplin.

Le Maroc capté par Ivan est bien loin des dépliants touristiques, même ceux destinés aux trekkers invétérés. Sommets dénudés – il aime se frotter au djebel Azurki ou au Toubkal –, villages agrippés comme des chèvres à la paroi rocheuse, rafales glaciales des hauts plateaux. Le Maroc de ceux qui n’ont rien sauf la richesse d’une vie humble, en quasi-autarcie. De ceux qui attendent la pluie, année après année, qui vont au moulin, entretiennent les seguias, comme ceux de Mout Tania (1999). De ceux qui ont su s’adapter à leur environnement, telle la vieille Tameksaout, bergère ridée et philosophe qu’Ivan a croquée avec tendresse dans le film homonyme (2005). C’est à travers les paroles de ces Berbères qu’Ivan scrute le pays. Frontières entre traditions et modernité, mutations, économie d’autosuffisance, échanges vitaux. Le rituel du souk, la figure du mendiant, le bûcheron qui braconne du sanglier, et celui-ci qui est parti chercher du travail en ville. Et encore celui-là, qui a réussi à passer en Espagne à bord d’une patera, fragile embarcation.

À mille lieues des reportages désabusés sur les migrants, Ivan Boccara cherche à comprendre ces mouvements, à partager. Comme on partage un repas frugal dans ses montagnes de l’Atlas. Il sait que les bouquets de garance ne poussent plus dans certaines vallées ; on dit que c’est l’homme qui les aurait fait disparaître. Il sait que l’électrification d’un village peut prendre des années et qu’il en faudra tout autant pour faire un film. Il y travaille d’ailleurs, en artisan scrupuleux, et c’est Pastorales électriques, un projet en cours. Sans bousculer, sans tricher avec la réalité.

À mille lieues de l’histoire officielle, il tente aussi de remonter les traces de communautés juives marocaines, entre exodes et disparitions. À partir d’images d’archives. Un film long, qui prend son temps, afin que tous ces fantômes viennent impressionner la pellicule.

Dernière pierre au bord du chemin : Ivan vient de créer sa société de production au Maroc : Les Films comme ça. Au plus près de ceux qu’il aime filmer.

BIOGRAPHIE

Réalisateur
Né au Maroc le 2 mars 1968, Ivan Boccara fait des études de cinéma et d’histoire de civilisation berbère à Paris. Il vit entre la France et le Maroc et réalise des courts métrages et des films documentaires dont « MOUT TANIA » en 1999, 56 minutes, et « TAMEKSAOUT » en 2005, 95 minutes, dans le Haut-Atlas, marocain. Son travail s’intéresse à des personnages forts, à des communautés, à des minorités, aux enjeux des populations, aux frontières des modes de vies entre traditions et modernités. Ses films cherchent à capter la relation du sujet à sa condition de vie et à son environnement et traitent de l’économie d’autosuffisance et des échanges de la vie paysanne dans les montagnes de l’Atlas. Son travail a été présenté et primé dans plusieurs festivals en France et en Europe. Il participe à des résidences et laboratoires artistiques et travail comme intervenant à des ateliers cinéma et documentaire avec L'ESAV-Marrakech et la Cinémathèque de Tanger. Il est par ailleurs photographe et chef opérateur notamment pour des artistes contemporains. Il réalise « Mémoires d’archives » une pièce pour le CAPC, musée d’art contemporain de Bordeaux en 2011 et « Mémoires de Ntifa » pour La Triennale – Palais de Tokyo en 2012. Artiste résident premium à la NON-MAISON, en 2013 il y expose au sein du programme ULYSSES sous l'égide du FRAC Provence-Alpes-Côte d'Azur: "Fenêtre sur le détroit" - Photograhies 1986-2013, est une exposition d'ouverture à un plus vaste projet d'atelier du même nom à Tanger, qui se prolongera en France. Il vient de créer "Les films comme ça" une structure de production, au Maroc.

Le blog d’Ivan Boccara : http://ivanboccara.blogspot.fr/


Les livres de René Euloge, un formidable écrivain, peintre, poète. Envoyé comme instituteur dans les années 1920 dans la vallée de la Tassaout, dans le Haut Atlas marocain, il collectera et traduira du berbère quantité de contes et données ethnographiques. À chercher chez les bouquinistes…
Plus d’infos sur le site de Mémoire d’Afrique du Nord :
http://www.memoireafriquedunord.net/biog/biog14_Euloge.htm


Mout Tania fait partie du coffret DVD Filmer le monde, aux Éditions Montparnasse (25 films primés au Festival Jean Rouch) :
http://www.editionsmontparnasse.fr/p1446/Filmer-le-monde-les-prix-du-festival-Jean-Rouch-Coffret-DVD