Guillaume Kozakiewiez

Ou les destins singuliers

Un chef opérateur manifestement très doué se met un jour à faire ses propres films et nous emmène de plus en plus loin. En Biélorussie tout d’abord, coude à coude avec une Léonarda énigmatique. Au Brésil ensuite, chez les sans-terre, en compagnie d’une battante de 16 ans, Naiara. Et puis, au-delà des nuages, pour son dernier film, Salto mortale. Sur un fil, au-delà de la volonté du commun des mortels, en compagnie d’un funambule qui va plus loin, lui aussi…

D’où vous vient ce désir de film ?

Le déclic a certainement été la photo. J’ai découvert cette sensation enivrante du cadre, de l’image qui arrête le temps et rend un moment éternel en quelque sorte. Le cinéma, lui, amenait la durée, le mouvement et le son. Trois éléments immenses qui peuvent donner à une image – et suite d’images – des dimensions vertigineuses. Le cadre permettait de réduire le monde à une fenêtre minuscule, qui laissait voir d’un coup un détail, ou partait de l’infiniment petit en le transformant en infiniment grand. Avec cet outil et ce langage, il devenait possible de célébrer le beau, de crier l’injustice, de sauver du flux une mémoire ou une destinée. Une parole, un geste.

Un film qui a servi de déclencheur ?

Je crois qu’un des déclics fut aussi le film de Chantal Akerman D’est. Trois heures sans paroles, rien que des gens qui passent ou que l’on dépasse, des paysages, et un trajet inexorable vers l’horreur mais qui faisait l’éloge du visage, du portrait.
Le cinéma permet de scruter, dans l’ordinaire, les petites choses et petits détails qui pour nous, œils et cerveaux qui filmons, font sens. Que l’on donne en partage, des fois que… Une fois ce plaisir-là trouvé, on n’a plus envie de s’arrêter.

Tourner, c’est aussi militer un peu ? C’est convaincre, ou juste témoigner ?
Vos personnages sont magnifiques !

Je ne suis dans aucun mouvement ou parti, et ne retourne pas dans les endroits du monde où j’ai pu aller. Sauf peut-être au Brésil, là où luttent les paysans sans terre, j’aimerais y revenir. Mais je ne l’ai pas encore fait.
Chaque film fait découvrir une condition, une réalité vécue par d’autres que je décide d’enregistrer. Mes tournages sont souvent longs, du coup la frontière entre la vie et le film a souvent tendance à disparaitre. Finir un film, c’est souvent passer à un autre, mais cela ne signifie en rien « oublier ».

C’est donc dans l’accompagnement des films ou dans des échanges informels, universitaires ou autres, que parlent des personnes en lutte, des personnes que l’on ne connaît pas et qui brillent de par leur rapport à la terre et à la vie.

Si on devait parler de films, à commencer par votre dernier, tout juste achevé ?

Le dernier film m’a amené à suivre un artiste de cirque qui a subi un grave accident et qui est considéré comme handicapé, Antoine Rigot. Une aventure artistique très intense avec la rencontre d’un homme toujours en marche malgré un sale accident de la vie. C’est Salto mortale, et cela sort en salles en octobre 2014, un long-métrage !

À recommander, un bel article de Nathalie Marcault sur Films en Bretagne :
http://filmsenbretagne.org/guillaume-kozakiewiez-tout-se-resume-en-un-mot-filmer/

Votre prochain film ? Celui qui reste à faire ?

Le prochain film parle d’une femme écrivain, érudite, qui fut courtisane pendant trente ans sans jamais cesser de lutter pour la révolution humaniste des prostituées. Ses livres m’ont bouleversé quand je travaillais au sein d’une association de santé pour les prostituées de Lyon. Elle s’appelle Grisélidis Réal.

Un film qui vous a marqué récemment ?

Un film qui s’appelle L’Escale, du cinéaste irano-suisse Kaveh Bakhtiari, qui filme l’immigration clandestine et ses compatriotes iraniens terrés en Grèce. Un film terrible qui m’a frappé au ventre et à la gueule. Un cinéaste qui filme des hommes qui disparaissent les uns après les autres, comme une sablière de l’humanité qui se vide.

La diversité culturelle au cinéma ?

Sans doute pour moi Johan Van der Keuken, qui a su filmer le monde et les autres avec une humanité et une compréhension de l’ailleurs, avec un œil lucide et amoureux.

Une brassée de livres à recommander ?

- Tristes tropiques de Lévi-Strauss
- Capitaine des sables de Jorge Amado
- Pédagogie des opprimés et Pédagogie de l’autonomie du Brésilien Paulo Freire…
- Tous les livres de Soljenitsyne
- les BD de Davodeau et de Marc-Antoine Mathieu
- Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus
- Les livres d’Erich Mühsam, un poète juif allemand.

Un site ?

Un site sur la photographie que j’aime beaucoup parce qu’il mélange tout et rassemble des pratiques différentes :
La Boîte verte : http://www.laboiteverte.fr

Filmographie

Réalisation

  • 2014 Salto mortale
    Long-métrage documentaire - Portrait d'un artiste de cirque. Vivement lundi - Distribué par Zeugma films. Sortie en salle octobre 2014
  • 2011 La lutte n’est pas pour tous...
    Documentaire 85'. Mille et Une. Films / NEED Productions
  • 2009 Les Cuisiniers
    Documentaire 43'. Produit par « Grand Ensemble » Atelier de cinéma populaire. Résidence documentaire sur le travail.
  • 2007 Quelques Mots
    Documentaire 40', sur la parole de réfugiés politiques, commandé par France Terre d’Asile.
  • 2007 Léonarda
    Documentaire 68'. Mille et Une. Films / TV Rennes
  • 2005 Recording America
    Documentaire musical 58', sur des musiciens bretons et états-uniens, à Rennes et Boston. Sélectionné au festival de Douarnenez.
  • 2004 FACE B
    Série documentaires de 8 x 26', sur des adolescents de Rennes, réalisée sur une année. Diffusion sur TV Rennes et le réseau TLSP.

CHEF OPERATEUR

  • 2013 La Mort aux livres
    Court-métrage fiction de Jean-François Marquet
  • 2013 Peau de chagrin
    Court-métrage fiction de Clarisse Battas
  • 2013 Grève du crime
    Court-métrage fiction de Grégory Nieuviarts
  • 2012  Je rentrais
    Court-métrage fiction de Jean-Christophe Dartois, avec France Télévision et Paris-Brest Productions
  • 2012 Après la chute
    en post-production, Documentaire 52', de Grégory Nieuviarts / Vivement Lundi
  • 2011 La source
    Documentaire de Mirabelle Fréville. Nommination aux lutins 2013 dans la catégorie « meilleure photo » / Production Paris- Brest
  • 2010 Mille jours à Saïgon
    Documentaire 52' de Christine Courtès / Vivement Lundi
  • 2009 Le veilleur
    Documentaire 52' de Céline Dréan (Etoile de la SCAM 2011) / Vivement Lundi
  • 2006 Examen d’entrée
    Documentaire 52' de Marianne Bressy pour France 3. Candela Productions