Emmanuel Audrain

Respect !

« Je suis photojournaliste depuis dix ans quand je vois le film Reporter, de Raymond Depardon. Je suis bouleversé. Si l’on peut faire du cinéma avec une telle discrétion, avec un réel engagement dans la durée comme le fait en général un photographe, alors, je dois prendre ce chemin.
Ce virement de bord va me prendre cinq années. Mais, pas de doute, c’est bien cette qualité de relation – dans la durée – qui fait battre mon cœur.
Trente ans plus tard, ce métier, ce mode de vie, cette façon d’être au monde me correspondent complètement. J’ai beaucoup de chance ! »
 

Emmanuel va prendre la mer, dès 1982, avec un film au joli titre, tourné à l’île d’Yeu, Boléro pour le thon blanc. Là où d’autres ne voient que des cartes postales, flottilles de pêche quittant le port ou îles dans le soleil couchant, lui, il voit des hommes. Des gens de mer, des hommes et des femmes agrippés au bastingage, agrippés à une vie difficile, avec ses peines, ses souffrances et ses petits bonheurs. Il y a la parole précieuse des aînés, il y a les Sauveteurs (1987). Leurs descendants, Les Enfants de l’« Erika » (2000), se lèveront pour dénoncer les marées noires. D’autres encore pointeront du doigt les règles à instaurer et à respecter dans Alerte sur la ressource (2002). Ces luttes, Emmanuel va les dessiner avec douceur, réquisitoires humanistes, manifestes pour plus de raison.
Et puis, enfin, Attention, hypothermie (2008), un film-outil, un film nécessaire, qu’Emmanuel va accompagner plus de trente fois en salle, au milieu de cette communauté de marins-pêcheurs qu’il sait si bien filmer.

Mais Emmanuel a aussi donné du temps, et accordé une écoute formidable à ceux que la vie a malmenés. Il a su filmer les fêlures, entendre les douleurs. Et nous les restituer avec une immense pudeur. C’est tout d’abord le bouleversant Partir accompagné (1992), sur les soins palliatifs, qui nous donne à voir l’invisible, qui suggère l’indicible. Et puis Je suis resté vivant (1993), hommage aux enfants de Sarajevo blessés dans cette guerre qui n’en finit pas… Des silhouettes debout dans ce conflit trop lourd pour eux !

Emmanuel remet ensuite plusieurs fois son sac à bord. En 1996, c’est une autre communauté qu’il va rencontrer. « C’est en lisant le testament du père Christian, le prieur de l’abbaye de Tibhirine, en Algérie, que ce film est advenu. L’assassinat des sept moines était survenu en mars. Le père Christian avait tracé ces lignes quelque temps auparavant. Ces hommes qui avaient fait vœu de rester, malgré les menaces, qui aimaient leurs voisins algériens, avaient cheminé ensemble, en dépit de toutes leurs différences. Ce texte m’a bouleversé. »
Emmanuel se rendra trois fois seul en Algérie, discrètement, avec le respect qui le caractérise. Il rencontrera toutes les familles des moines. Une à une. Et nous offrira ce Testament de Tibhirine (2006), bijou de sensibilité.
Un documentaire précieux, qui saura inspirer le producteur de la fiction Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, sorti en 2010.

Comme Emmanuel est fidèle à ses convictions, et en particulier à la non-violence, il remet ses pas, caméra discrète, dans ceux d’anciens appelés en Algérie, qui font le choix de refuser leur retraite militaire pour financer des projets de développement en Algérie. C’est la belle aventure de l’association 4ACG et de ses généreux combattants, à découvrir dans Retour en Algérie (2014). Généreux, à l’image d’Emmanuel Audrain.

 

FILMOGRAPHIE

  • 1985 - Boléro pour le Thon Blanc 16 mm, 26’
  • 1987 - Sauveteurs 16 mm, 26’
  • 1989 - Mémoire des Iles - Trois portraits, 3 x 52’
  • 1992 - Partir accompagné 52’
  • 1993 - Je suis resté vivant ! 52’
  • 1995 - Le vent d’été est léger… 26’
  • 1996 - Rue des Thoniers 26’
  • 1997 - La Rochelle, port breton 26’
  • 1999 - Victor Tonnerre  52’
  • 2000 - Les enfants de l’Erika  52’
  • 2002 - Alerte sur la ressource  52’
  • 2005 - …La vie continue  21’
  • 2006 - Le testament de Tibhirine  52’
  • 2008 - Attention Hypothermie  36'
  • 2012-2013 - Retour en Algérie 52’