Anne Lescot

Réalisatrice et... fédératrice

Entrevue sur une terrasse parisienne ensoleillée.
Nous accostons très vite en Haïti, en compagnie d’Anne Lescot, Franco-Haïtienne, co-réalisatrice avec Laurence Magloire du très beau Des hommes et des dieux, sorti en 2002. Anne est aussi connue pour son investissement au service du Collectif 2004 Images, qui se consacre à la diffusion culturelle d’œuvres haïtiennes. Ou de projets de coordination comme celui de Gens de la Caraïbe, précieux regroupement de forces artistiques de cette région du monde.
Aujourd’hui, elle se bat pour qu’Haïti reprenne son destin en main, versant mécénat local cette fois-ci…

Comment viens-tu à l’image ?

J’y viens parce que je suis en formation d’anthropologie visuelle, à Paris, et que l’image est un outil naturel de travail ou de collecte. Je me rends alors à l’époque religieusement au Bilan du film ethnographique, une fois l’an. Les grands prêtres ont noms Flaherty, Jean Rouch bien sûr, mais aussi Bob Connolly et Robin Anderson, les Australiens auteurs de First contact, sur les Papous de Nouvelle-Guinée.
Je suis avidement les séances des mercredis du Film ethno… jusqu’à ce que Haïti m’appelle pour de bon. Je m’endette pour acheter une caméra HI8, et achète une batterie en ceinture de 3 kilos !

Tu sais déjà ce que tu veux filmer en Haïti ?

Oui, j’ai besoin de l’image pour ce que les mots ne parviennent pas à décrire et cerner. En l’occurrence, je travaille sur le vodou, et filmer me permet de m’inscrire dans un rapport au temps différent de l’écriture. Je m’y plonge, immersion totale, en complicité avec Laurence Magloire, qui m’apporte aussi son expérience et son regard, elle qui vient de passer plus de trente ans au Canada et a collaboré à de multiples expériences de radio-télévision là-bas.
Ensuite, il faut juste que le montage ne travestisse pas le vécu. Nous y sommes attentives. Des hommes et des dieux va naître de cette préoccupation.

Le film va beaucoup tourner. Toi, tu es déjà repartie sur une nouvelle aventure ?

Oui, mais tout s’enchaîne toujours logiquement. Je me soucie alors de mettre le travail et la production artistique de mon île en avant. Elle est prolifique, mais Haïti n’existe pas en dehors des tornades médiatiques et coups d’État qui la mettent à la une de nos journaux. Et le reste du temps, alors ? Le pays est malmené, les structures étatiques ne remplissent pas leurs missions culturelles. Alors, avec d’autres amis, nous créons un festival, Écrans d’Haïti, et dans la foulée le Collectif 2004 Images, qui va perdurer.

Quelle nécessité ?

Structurer les créateurs, les accompagner dans la durée et pas juste au coup par coup. Évidemment les Haïtiens peuvent toujours s’autoéditer, se proclamer réalisateurs, mais rien n’est fait pour la diffusion culturelle, pour une présence au-delà des océans, sur les scènes internationales, sur les carrefours et marchés culturels.
Nous nous y attelons, et plus tard, avec Karole Gizolme, qui a monté l’association Gens de la Caraïbe, nous nous engageons dans un vaste chantier. Ce sera la réalisation du Guide de la Caraïbe culturelle, qui couvre Haïti, la Martinique et la Guadeloupe. Car ces territoires souffrent d’un manque évident de visibilité outre-mer. Nous avons pour objectif de valoriser et promouvoir la création caribéenne, et de favoriser les échanges entre professionnels. Aujourd’hui ce sont plus de 40 structures qui sont reliées et connectées. Du lyannaj, du vrai !

Et le travail politique d’information ?

Mais c’est du travail politique que de relier les uns et les autres ! Leur redonner confiance aussi, les valoriser. L’insularité ne favorise pas la confrontation au reste du monde, et pourtant il est bon de s’y frotter. En parallèle, à travers le Collectif 2004 Images, nous créons des événements et des productions, comme l’exposition « Esclaves au paradis » sur les réalités de l’exploitation des Haïtiens en République dominicaine voisine. Au cœur de cette expo, le salaire de sang et de sueur que doivent verser les ouvriers haïtiens du sucre, dans les grandes propriétés foncières. Esclavage moderne, à l’ombre des complexes touristiques… Il en est tant qui préfèrent fermer les yeux. Nous tentons de les leur ouvrir !

Tu poursuis encore ce travail aujourd’hui ?

Oui, la réflexion est toujours politique, sur l’urgence de restituer une parole véritable aux Haïtiens, de fabriquer nos propres images, de nous affranchir du carcan international. Le Ciné Institute de Jacmel y contribue aujourd’hui, pour ce qui est du secteur audiovisuel. Même avec des influences étrangères, il constitue cependant un vrai campus cinéma et audio, et offre des débouchés concrets aux jeunes qui s’y forment.
Mais ce lieu n’est pas suffisant, il nous faut de toute urgence mettre en place des espaces d’accès à la culture pour la majorité, soutenir de vrais espaces d’exposition, accompagner dans la durée. La vitalité haïtienne ne suffit pas !

Et quels soutiens peut-on imaginer sur ces projets ?

Il nous faut mobiliser des capitaux haïtiens, notamment chez les entrepreneurs. Convaincre ceux-ci qu’ils ont une responsabilité vis-à-vis de leur propre société, s’affranchir progressivement de l’aide internationale qui reste ponctuelle et bénéficie rarement de suivi. C’est à cela que je travaille actuellement, tout en continuant de rêver mon prochain film. Le temps viendra…


Un livre ?
Tous ceux de Jean Price Mars, un éveilleur de consciences,  ou L’Odeur de l’Inde, de Pasolini, un cinéaste qui me bouscule .

Filmographie

  • 2001 Qu’est-ce que le vodou
    12', Digital LM / Radio Canada
  • 2002 Des Hommes et des Dieux
    52', Digital LM, Haïti