Jean-Louis Le Tacon
Homme-orchestre à caméra paluche ? Technicien ou inventeur ? Vidéaste d’art ? Militant des années 1970 avec Torr-e-benn ? Jean-Louis Le Tacon est tout cela à la fois, lui qui défriche sans cesse…
Lui à qui un abbé, Pierre Bourdelles, grand militant de la cause bretonne, remit en la lui léguant une valise de films qu’il avait tournés en 9,5 mm, dans les années 1950.
Un scénario de fiction ? Non, les routes de Jean-Louis Le Tacon…
« D’où vient ce désir de cinéma ? Le concept de désir est intéressant : si je me mets à filmer, à monter, à travailler, ce ne peut être que mû par le désir, justement.
C’est souvent après bien des recherches ou hésitations et puis soudain, quelque chose est en germe.
Dans ma famille, dans le Trégor, à Pontrieux, mon père, pourtant né au XIXe siècle, s’était acheté une Pathé Marconi.
Moi, je poursuis mes études à Saint-Joseph de Lannion, je fais du scoutisme et surtout beaucoup de théâtre, j’ai une véritable passion pour la scène.
Et puis survient l’abbé Bourdelles, dont j’ai raconté plus tard l’histoire dans un film, Abbé Pierre Bourdelles, l’éveilleur (1987). C’est un grand militant de la culture bretonne, humaniste, et il pousse les élèves sur toutes ces voies. Curieux de toutes les nouvelles technologies, il enregistre, tourne des images. Il les monte lui-même, colle les films, ça sent l’acétone et ça reste très mystérieux. Plus tard, il me remet une valise pleine de ses pellicules, qu’il me lègue…
Je pars faire le grand séminaire à Saint-Brieuc. Je ne pense plus à cette valise.
Je l’ouvrirai beaucoup plus tard, en 1976 ou 1977. Un trésor.
Entre-temps, j’ai perdu la foi, mais pas le désir de cinéma.
La roue tourne. Après les études religieuses, la découverte du marxisme. Année 1968 !
Je milite à La Cause du peuple, je m’inscris en sociologie à Rennes. Théâtre et propagande ne font qu’un, je me régale. Le cinéma va me rattraper. J’ai acheté une caméra Minolta dans un supermarché, je suis les manifestations, les occupations d’usines, je me fais même enfermer avec les patrons, je tourne, je monte, c’est le bonheur… Je suis totalement autodidacte, brut de fonderie.
Avec quelques camarades, Patrick Prado, Bernard Andrieu, Geneviève Delbos, nous montons le groupe Torr-e-benn (Casse-leur la tête), sur le modèle des Kinoks de Dziga Vertov, en Union soviétique. Nous sommes de toutes les luttes : lutte foncière à Orvault (Olivier Tric), lutte des kaolins à Plémet, du Joint français à Saint-Brieuc.
En Super 8, nous tournerons et produirons Nous irons jusqu’au bout, la grève des Kaolins de Plémet et Voici la colère bretonne : la grève du Joint français, signés Jean-Louis Le Tacon. Guern, les lampadaires du coin du pont et les fourmis noires de Patrick Prado et Geneviève Delbos est tourné en 1973. Les fourmis noires ? Les CRS !
Bretonneries pour Kodachrome en 1974 est un pamphlet grinçant qui fustige les spectacles folkloriques, ceux qui se donnent en pâture. Mais c’est aussi une recherche…
Puis c’est Paris.
Brassée de souvenirs : les ouvriers, la CFDT, l’école de la rue d’Ulm, Michel Foucault… Je gagne un prix du Cinéma Super 8, une caméra Beaulieu, la Rolls-Royce du Super 8. C’est la fin des grandes épopées, les récits s’essouflent, le mouvement militant retombe, je me retrouve sans profession. Il me faut apprendre le cinéma. C’est le moment où Jean Rouch crée un doctorat de cinéma à Nanterre, une formation pas du tout formelle, loin des sentiers battus. Je m’y engouffre. Et découvre que je pratique l’anthropologie visuelle.
Je vais tourner Cochon qui s’en dédit en 1979. Jean Rouch lui-même s’en étonne mais il me pousse. C’est mon film de fin d’études et je pousse tout moi-même. Je m’immerge des jours entiers dans cette réalité de l’éleveur, Maxime Duchemin, l’éleveur de porcs que j’ai rencontré dans une soirée. Il m’a parlé de ses cauchemars, ça m’a intéressé.
Je l’enregistre des heures et des heures. Je cherche à refléter son monde intérieur, pas juste à tourner des images de lui dans la porcherie. Le capitalisme vole des vies : Maxime est possédé par son travail, ce n’est plus lui qui dirige son existence.
Je revendique des choix esthétiques très appuyés, couleurs saturées, musiques de plus en plus agressives, montages saccadés, qui doivent posséder à leur tour le spectateur. On doit en arriver à ressentir la nausée, nausée de cette existence vouée à la production intensive. Un film que l’on qualifiera de militant, mais que j’ai voulu autre : pas de commentaire plaqué sur les images, pas de thèse.
Le film touche droit au but, et obtient le prix Georges-Sadoul en 1980.
Mais je n’ai jamais su diriger ni ma carrière ni mon destin. J’aurais pu continuer à explorer la veine bretonne, faire Pêcheur d’Islande ou tourner Léviathan ?
Mais je ne veux pas récidiver, ne suivre que le sillon de Jean Rouch…
Alors toujours, il me faut réinventer…
Brisures d’abers en 1981 est tourné en collaboration avec Chi Yan Wong, un Chinois de Honk-Hong, mais le thème reste territorial. Le film, formellement minimaliste, sera mal reçu.
S’ensuivront une multitude d’autres films, près d’une cinquantaine au total.
Recherches, performances, video-art, commandes… de vidéaste, de technicien, d’inventeur. Tout un travail autour de la caméra paluche (une caméra mobile et légère), des formations, de l’enseignement. Aujourd’hui, je fais des films autobiographiques, je me filme aussi. Peut-être que je cherche à boucler une boucle ? Je filme à la campagne, où je vis.
Quelques titres ? Se référer plutôt à la filmographie en annexe.
Vidéo aquatique avec Waterproof en 1986, métissages de l’image en mouvement avec les autres formes, danse, rock, punk ; magazines vidéo, création en vidéo numérique dès 1988, L’Arpenteur des mers en 1992, documentaire L’Éloge de la lenteur en 1996, une plage construction de maison, Chroniques de chantier de restauration des peintures murales de l’abbaye de Saint-Savin (trésor de l’Unesco) en 2008, numérisation de Cochon qui s’en dédit en 2011 et diffusion par les éditions Montparnasse, et puis un triptique en 2013…