Philippe Guilloux

Inventer, tenter, rebondir toujours
guilloux

La vie de Philippe Guilloux pourrait servir de scénario à une belle fiction échevelée, tournée en Centre-Bretagne. Tenter sa chance, rebondir, inventer. En tout cas, le scénario se devrait d'être respectueux des invisibles, auxquels il aime à redonner la parole. C'est tout au moins l'avis de Philippe.


 

Une première phrase au hasard, attrapée au détour d'une longue, très longue conversation téléphonique.

« J'ai quitté l'école parce que j'ai rencontré la mère de mes enfants dans un fest-noz en Touraine où j'étais allé sonner. Elle plaque tout, et on rentre en Bretagne avec sa moto, de nuit, sac au dos. Moto qui a d'ailleurs rendu l'âme du côté de Loudéac. A partir de là, il me fallait travailler. Je fais toujours un peu de musique mais à cette époque, il n'y a pas beaucoup de musiciens à en vivre en Bretagne et pas d'intermittence. Sans diplômes et sans qualifications, j'ai donc pris tous les boulots qui se présentaient : ramasseur de volailles, manutentionnaire pour un grossiste de boissons, carreleur, marbrier, transbordeur à la gare de Carhaix, payé à la tâche. Là, j'ai un accident : fini le port de charges. Je suis viré sans reconnaissance de mon accident de travail.


 

Je retourne traîner mes guêtres à la Maison pour Tous de Carhaix où, ados, nous avions monté un ciné-club. C'est là-bas, en projetant des films 16 mm sur un mur peint en blanc que j'avais fait mes premières armes de projectionniste et de cinéphile. Le ciné-club avait ensuite migré dans l'ancienne salle des écoles et était passé en 35mm avec des appareils rachetés au cinéma de Guéméné. Mais début 80, le ciné-club est devenu un gouffre financier, le Conseil d'administration de la MPT décide d'arrêter les frais. Il y avait alors dans la ville un vieux cinéma de patronage, Notre ciné, qui ne tournait qu'en fin de semaine, qui pratiquait la censure en positionnant des cartons devant les objectifs quand les scènes étaient jugées indécentes...Pourquoi ne pas créer une salle de cinéma qui nous permettrait de continuer le travail fait au sein du ciné-club ? Jean-Pierre Jeudy, le maire, nous rétorque : écrivez un projet et j'aviserai. Nous rencontrons des programmateurs, des exploitants et nous créons l'association Contrechamp avec une bande de copains. En quelques mois, le projet est élaboré avec l'idée que si on fait quelque chose, il faut le faire bien : casser cette image de salle vétuste associée au ciné-club, offrir du confort et une projection de qualité. Il faut faire de gros travaux dans la salle que la municipalité met à notre disposition par convention. Nous contractons 600 000 francs d'emprunt que la mairie accepte de garantir à la condition de créer au moins un emploi.


 

Me voilà promu projectionniste-programmateur-balayeur-colleur d'affiches du cinéma Cinédix. Je suis épaulé par une cinquantaine de bénévoles et j'en forme une dizaine pour assurer les projections, ce qui me permet de dégager du temps pour la programmation et l'animation. Le succès est au rendez-vous : notre prévisionnel était basé sur 25 000 entrées annuelles et nous dépassons les 40 000, tout en remplissant notre objectif : diffuser du cinéma commercial pour assurer les recettes, tout en obtenant le classement Art et Essai. C'est ce cocktail qui fait que l’association et le cinéma (aujourd'hui Le grand bleu) existent toujours et que la salle est classée Art et Essai depuis plus de 40 ans. »


 

Maîtrisant désormais l'animation et la gestion d'une salle commerciale, Philippe et ses amis se solidarisent avec la salle de Châteaulin. Le privé qui gère cette salle jette l'éponge. Grâce au soutien de l'association carhaisienne, une association jumelle est mise en place à Châteaulin. Philippe devient salarié des deux salles, qui s'associent dans la fédération l'Atalante. Après 3 ans, Philippe reprend son poste de salarié de la salle carhaisienne. C'est l'époque où Canal + amorce son rythme de croisière et la fréquentation des cinémas en fait les frais. La chute des entrées semble inexorable. Comment enrayer l’hémorragie ?


 

Autrefois, les termajis proposaient des actualités locales qui attiraient les spectateurs. L'idée est reprise et adaptée : réaliser des reportages sur les associations carhaisiennes, des pubs pour les commerçants, et les diffuser en première partie des films. Mais qui va faire ces films ? Les regards se tournent vers le salarié et Philippe part en formation à l'ACAV de Saint Cadou. La collaboration avec Jean-François Le Maigre sera déterminante : il est photographe professionnel à Carhaix mais il a aussi développé une activité de films d'entreprises. Les deux compères vont trouver un terrain d'entente : Jean-François apporte son savoir faire et son matériel de prise de vue, l'association investit dans le matériel de montage. Contrechamp va investir dans du matériel en Betacam, le format professionnel haut de gamme de l'époque. Il n'y a alors que deux équipements de ce niveau technique à la pointe de la Bretagne.


 

Cela finit par se savoir et Philippe reçoit un jour un appel de Yannick Charles. Journaliste à Thalassa, Yannick réalise des sujets de 4 minutes pour le célèbre magazine de la mer et voudrait éviter d'aller sur Paris pour une journée de montage. Leur première collaboration, un sujet tourné au Guilvinec, passe à la télévision : « J'étais clairement très fier de voir mon nom au générique de cette émission que je regardais étant jeune ! » Avec Yannick, c'est une complicité et une longue collaboration qui s'engage : des sujets courts, ils passent aux 26 mn et 52 mn avec des films comme Une saison en enfer, tourné sur un chalutier de Lorient dans une tempête en nord Ecosse, et qui reste une référence dans le milieu de la pêche. Pour Philippe, c'est aussi la rencontre avec Georges Pernoud. « Georges était un professionnel exigeant et les visionnages avec lui étaient très enrichissants. Il remettait toujours le spectateur au centre de la discussion. C'était aussi un homme bienveillant et prévenant avec ses équipes ».


 

En 2000, c'est l'arrivée de TV Breizh, qui va changer le paysage audiovisuel breton. Philippe se souvient : « Après 18 ans, j'avais l'impression d'avoir fait le tour dans la gestion et l'animation d'une salle de cinéma. Et puis le montage des films de Yannick me prenait de plus en plus de temps. Je quitte donc mon emploi, après avoir bouclé le projet de déménagement de la salle de cinéma pour le Grand Bleu, et je crée Ouest Editing, une société dédiée au montage et à la post-production. Les prestations pour Thalassa s'intensifient. D'autres réalisateurs me sollicitent comme monteur et la société intervient de plus en plus sur les directs événements. Des sociétés de productions bretonnes font également appel à la société, notamment Bleu Iroise. En parallèle, Ouest Editing diversifie ses prestations avec la conception et l'installation d'équipements de diffusions muséographiques, la vidéoprojection de forte puissance et la captation de concerts en multi-caméras, notamment sur le festival de Bobital. C'est là que je commence à faire de la production car il faut gérer les autorisations, les droits, trouver des financements complémentaires en revendant des captations à des diffuseurs. Ça a été aussi pour moi l'occasion de rencontrer certaines de mes idoles de jeunesse comme Status Quo. J'écoutais leurs vinyles dans la cave chez mes parents ».


 


 

En 2007, France Télévisions souhaite réintégrer en interne un maximum de travaux de montage et de post-production. Georges Pernoud en informe Philippe et lui confie un travail qui va l'occuper pendant plus d'un an, le temps de se retourner. C'est ainsi que Ouest Editing se voit confier le montage et la post-production de la première série en haute définition de France Télévisions : Les côtes d'Europe vue du ciel. 36 x 6 minutes et 10 x 26 minutes. Une série entièrement montée et post-produite à Carhaix, dans les locaux de la société, et ceux de Frédéric Hamelin, qui vient d'installer un studio dédié au son à l'image. La composition des musiques (plus de 70 titres) sera également assurée par un Centre-Breton : Pat O May.


 

Se pose donc la question de la suite. Déménager dans une grande ville où s'installer à Paris n'est pas une option envisagée par Philippe. Il constate aussi que les outils de montage deviennent financièrement accessibles et que de nombreuses sociétés s'équipent en interne. Le secteur de la prestation se contracte. Depuis quelques mois Philippe participe à de nombreuses réunions pour la mise en place d'une chaîne de télévision à la pointe bretonne. Dominique Hannedouche y expose son idée de fédérer différentes chaînes locales pour leur permettre de produire, dans le cadre d'un contrat d'objectif et de moyen avec la région. Philippe décide, tout en gardant une activité de prestataire, de faire évoluer sa société vers la production sous un nouveau nom : Carrément à l'Ouest.

« A ce moment là, même si j'avais réalisé quelques portraits de musiciens (Soïg Sibéril, Annie Ebrel...) je n'ai toujours pas comme objectif de réaliser des films ».

 

 

En 2010, Philippe lit dans la presse locale un article sur le garage solidaire de Carhaix, où des gens en insertion réparent les véhicules de bénéficiaires des minimas sociaux. Ce pourrait être au cœur d'un documentaire sur l'économie sociale et solidaire. Il se met en quête d'un réalisateur à qui confier ce projet, en vain. C'est Fred Hamelin qui lui dit : « Tu as une idée suffisamment précise du film, pourquoi tu ne le réalises pas ? » Dominique Hannedouche, à qui il parle du projet, lui assure que les locales, maintenant réunies au sein du COM, seraient preneuses. Le tournage de Voix de garage débute. Philippe veut filmer le garage dans son fonctionnement quotidien, en immersion. Pas si simple. Pour des raisons techniques (c'est un environnement très bruyant) mais surtout humaines. Les premiers jours, les gars se cachent, plongent la tête sous les capots, s'enferment dans leur local de pause. « Je commence à me dire que je vais dans le mur. Pendant les trois premiers jours, nous arrivons péniblement à mettre en boite une seule séquence ! » Heureusement Fred Hamelin et Stéphane Guillard, les deux techniciens qui m'accompagnent dans cette aventure, me rassurent. Il faut y aller tranquillement, ne pas tenter de voler des images et la parole. Facile à dire mais je suis aussi le producteur et je vois le nombre de jours s'inscrire au compteur. Nous allons finalement tourner trois semaines, entrecoupées par des pauses d'un mois pendant lesquelles je continue à me rendre au garage avec une petite caméra. La confiance s'installe , les gars sortent de leur coquille et nous livrent de magnifiques moments.


 

Commence aussi une belle histoire d'amitié avec Yves, le patron du garage. Une histoire hélas trop courte. Alors que Philippe démarre le montage, on diagnostique chez Yves la maladie de Charcot. Il lui reste quelques mois à vivre. « Pendant le montage, les images et les paroles d'Yves prenaient une dimension particulière. Après son décès, j'ai demandé à Eliane, sa femme si on continuait à diffuser le film. Elle m'a répondu : « Ton film montre Yves tel qu'il était avant la maladie et je souhaite que ce soit cette image là que le gens gardent de lui. Donc oui, il faut le diffuser.» Cela m'a beaucoup fait réfléchir sur notre responsabilité quand nous filmons des gens. C'est une trace qui restera d'eux».


 

Yves Morvan était aussi dans sa jeunesse un ami de Glenmor. C'est lui qui incite Philippe à faire le portrait du barde-chanteur, un des pionniers du renouveau de la culture et de l'identité bretonne, disparu en 1996. Le sujet n'attire guère Philippe. Milig fait parti de ces personnes vénérées, statufiées, une icône pour les militants bretons. Mais Yves trouve l'argument : il parle à Philippe d'une bobine d'un film Super 8 tourné par Glenmor lui-même pendant la grande tournée de 72 avec Léo Ferré. Il sait où est le film et se fait fort d'en disposer. Après visionnage de cette bobine Philippe se lance dans la réalisation, n'hésitant pas à dévoiler des facettes noires du personnage. « Chaque homme a ses parts d'ombre et en révélant celles de Milig, je voulais déboulonner la statue, le rendre à nouveau humain, et donc attachant . Ça m'a valu de recevoir des lettres anonymes... Mais j'ai surtout reçu une très belle lettre de Katell, la femme de Glenmor qui me disait combien le film était important pour elle et pour leurs enfants, qui trouvaient enfin une place dans cette histoire ».


 

« J'avais déjà commencé l'écriture du film suivant : Qui a tué Louis Le Ravallec ? Il s'agissait, à partir de l'enquête menée dans les années 60 par Donatien Laurent autour d'un chant qui relatait le meurtre d'un jeune homme au Faouët en 1732, de faire à la fois un film sur les gwerzioù, leur rôle social, leurs modes de transmission et le portrait de Donatien, génial musicologue, ethnologue et linguiste. Impossible à faire dans un format court d'autant que je souhaitais illustrer des passages du chant par des séquences fictionnées ». Le résultat est un long-métrage documentaire de 90 minutes. Si le tournage n'est pas simple, Donatien étant un personnage fantasque, imprévisible, la rencontre avec le chercheur sera un moment de pur bonheur. « Ces rencontres, ce lien particulier qui se tisse entre celui qui est filmé et celui qui filme, c'est sûrement ce qui m'a le plus motivé pour poursuivre dans cette voie de la réalisation ». Car à partir de là, les projets s’enchaînent et si sa société produira quelques films d'autres réalisateurs, Philippe va consacrer l'essentiel de son temps à la réalisation et signera 14 films en 12 ans, pratiquement tous en format long-métrage.


 

Ce sera ensuite Félix et Nicole Le Garrec, personnages essentiels de l'audiovisuel de Bretagne, à qui Philippe rend hommage dans Nicole et Félix en 2014. «Nicole et Félix sont des pionniers qui vendent leur magasin de photos pour créer l'UPCB avec René Vautier. Ils produiront Avoir 20 ans dans les Aurès. Ils seront parmi les premiers à donner la parole aux marins pêcheurs, aux paysans, aux ouvriers... Les premiers aussi à filmer les soubresauts du conflit de Plogoff, fin des années 70, puis à suivre les affrontements. Plogoff, des pierres contre des fusils, continue aujourd'hui sa longue histoire et reste un film emblématique. « Ils avaient hypothéqué leur maison pour financer ce film et c'est cela qui m'a donné envie de leur rendre hommage ».


 

« En 2013, j'avais envisagé de faire un film sur la fermeture de l'usine Marine Harvest, près de Carhaix. Mais le temps de monter les dossiers pour obtenir les financements n'était pas synchrone avec l'agenda de cet événement qui, avec le conflit GAD, les difficultés de Doux, a été une des composantes du mouvement des Bonnets rouges. Après coup, j'ai regretté de ne pas avoir fait ce film et j'ai voulu rappeler qu'en leur temps, des gens comme Nicole, Félix, René, faisaient des films sur les conflits, les luttes, les marées noires... alors qu'ils n'avaient pas le moindre centime pour les financer. Aujourd'hui, alors que la technique est plus accessible, la recherche d'un diffuseur, la place prise par l'écriture et le temps d'instruction des dossiers font que nous sommes moins réactifs. Nous nous sommes institutionnalisés ». 


 

2014, c'est aussi le centenaire de la première guerre mondiale. Avec D'ar gêr, les Bretons et la grande guerre, Philippe revient sur cette tragédie. « J'ai toujours cherché à comprendre comment des hommes avaient pu accepter de vivre cet enfer pendant 4 années. Le film parle de cela, mais il parle aussi des bouleversements profonds qu'a entraîné ce conflit en Bretagne : découverte d'autres cultures, d'autres modes de vie, rejet des traditions, des costumes, des danses, de la langue, bouleversements politiques. Le tocsin d'août 14 a aussi sonné le glas d'une société rurale qui peinait à entrer dans le XXème siècle ». Le film prendra la forme d'un long-métrage de 75 minutes, mêlant fiction et documentaire.


 

« Après ces films très écrits, j'ai eu envie de revenir à l'énergie du tournage en immersion, dans l'esprit de ce que j'avais fait pour le garage solidaire ». Ça sera Compléments d'objets, qui nous plonge au cœur de la ressourcerie Ti récup de Carhaix et, la même année, Le dernier défi, portrait de Mathieu Le Dour, champion de lutte bretonne, qui souhaite finir en beauté sa carrière en participant aux championnats d'Europe des luttes traditionnelles, à Brest. Le point final ne sera pas celui envisagé. « Lorsque Mathieu a perdu sa finale, j'ai compris que le film ne serait pas du tout celui que j'avais envisagé. C'est la magie du réel ! C'est ce qui n'est pas prévisible et donc difficile à formaliser dans un dossier » !


 

« Il restait quelque part dans ma tête le regret de ne pas avoir fait ce film sur la fermeture de Marine Harvest, je constatais qu'il y avait peu de films racontant ce qui se passe après. Que deviennent ces salarié.es une fois que les grilles de l'entreprise où ils ont passé 5, 10, 15 ans de leur vie, se ferment définitivement ? J'avais aussi été très choqué d'entendre un jeune ministre du budget ( Macron) traiter les femmes de GAD d'illettrées. J'avais lu le livre d'Olivier Le Bras, le syndicaliste de GAD, je le rencontre en 2016. A la fin de cette entrevue, il me dit qu'il est d'accord pour témoigner. Je me met donc à la recherche d'autres protagonistes et j'affine mon dispositif : ils et elles seront filmées face caméra, bien éclairé.es, bien cadré.es tandis que les politiques seront présents à travers des images d'archives dégradées et déformées d'une vidéoprojection sur les murs. Histoire d'inverser les représentations habituelles. Ce sera Les Illettrées, un long-métrage documentaire. Le tournage sera émouvant et éprouvant car ces gens se livrent devant la caméra et comme toujours, j'ai peur de ne pas réussir restituer leurs propos, leurs ressentis. Mais l'avant-première lèvera mes doutes ».


 

En écho à son film sur la première guerre mondiale, Philippe réalise en 2019, le film 1939- 1945, la Bretagne sous l'occupation. Alors qu'il ne pensait pas travailler sur cette période qui a déjà fait l'objet de nombreux films, Philippe découvre l'existence de 3000 photos prises par des soldats allemands stationnés en Bretagne et retrouvées dans leur famille par un collectionneur du Centre- Bretagne. Elles sont tellement singulières, mettant en lumière une cohabitation entres soldats allemands et habitants des communes bretonnes occupées, qu'il se met à l'ouvrage, documentant ainsi une cohabitation forcée mais pas toujours dramatique. En tous cas différentes des représentations classiques avec les bons d'un côté et les méchants nazis de l'autre. Ce film va recevoir le Premier prix dans la catégorie histoire au Média Celtic Festival.


 

2019, est aussi un tournant pour Philippe. Catherine Nédelec qui travaille avec lui sur le montage de 1939-1945, la Bretagne sous l'occupation, est emportée par la maladie alors que le film n'est pas terminé. « Pour moi c'est un coup de massue. Je la connaissais depuis ma formation à l'ACAV et nous avions travaillé sur différents projets, son regard était redoutable et les films en sortaient toujours grandis. Cette disparition soudaine m'a amené à me poser des questions et à constater que j'avais la tête dans le guidon depuis plusieurs années et qu'il était temps de prendre du temps, du recul. J'avais commencé l'écriture de deux projets et commencé à prendre les contacts. J'ai décidé de les réaliser avant de raccrocher ». Ca sera Polig Monjarret, un enfant du diable, le portrait du créateur du premier bagad, de la BAS, initiateur du Festival des cornemuses, du Championnat de Gourin, personnage controversé du fait de ses prises de position pendant la seconde guerre et « L'homme à l'écharpe blanche », portrait de cet animal politique breton que fut Jean-Yves Cozan. Ca sera aussi la production et le montage de deux documentaires de Yannick Charles.


 

Début 2020, le film sur Polig Monjarret est terminé mais l'avant-première du film est annulée car nous entrons dans le premier confinement. Avec mon copain Eric Legret, photographe professionnel centre-breton, nous nous lançons dans la réalisation de Premiers de corvée, une série d'une trentaine d'épisodes qui donne la parole à cette fameuse « deuxième ligne » . Ils sont éboueurs, caissières, infirmières, livreurs, routiers...Nous diffusons chaque jour, pendant le confinement, un nouvel épisode via les réseaux sociaux et cette série connaîtra un vrai succès avec plusieurs milliers de vues. Quelques mois plus tard, nous réaliserons « Non essentiels » suivant le même principe et cette fois, nous donnerons la parole à des musiciens, commerçants, libraires, toutes ces professionnels empêchés de travailler.


 

Pendant le premier confinement, Philippe lance un autre projet. « Ça faisait longtemps que je voulais faire un film sur la nuit de la gavotte à Poullaouen, mais je ne trouvais pas l'angle de narration. Dès l'entrée en confinement, ça a été une évidence : la gavotte représentait tout ce que nous ne pouvions plus faire : se retrouver ensemble dans une salle, se donner la main, mélanger nos sueurs... Il y avait toutes ces questions : pourrons nous re-danser un jour ? Retrouverons nous cette insouciance ? Cette convivialité ? Problème : nous étions confinés. J'ai alors contacté par téléphone ou via les réseaux des amis musiciens, chanteurs, danseurs et je leur ai proposé de se filmer avec leur smartphone dans leur quotidien de confinés. Je recevais régulièrement leurs vidéos par internet et c'était souvent très émouvant. Nous avons continué cette expérience jusqu'au second confinement et cela donne au final un film qui est à la fois un film sur la gavotte mais aussi un film sur cette étrange période.


 

« Au final, que reste-t-il de ce parcours ?

D'abord la satisfaction d'avoir suivi mes intuitions et d'avoir su saisir les opportunités qui se présentaient, tout en assumant mon choix de rester vivre et travailler en Bretagne. Ensuite, il y a les films bien sûr, et j'en suis d'autant plus satisfait que la plupart continuent leur carrière avec des diffusions dans les salles, à la télé, sur des plate-formes.

Mais il reste avant toute les rencontres. Rencontres avec des personnalités ou des inconnus qui ont accepté de se livrer devant la caméra. Rencontres avec des professionnels qui ont partagé leurs savoirs-faire, qui ont alimenté mes réflexions, qui m'ont fait confiance. Rencontres avec le public, car mon grand plaisir est de diffuser mes films en salles, ce qui me permet de renouer avec mon premier métier dans l'image, et de boucler la boucle ».


 

Caroline Troin, avec Philippe Guilloux, mars 2024