Doris Buttignol

ou l'absolue nécessité de filmer

Doris Buttignol, réalisatrice et plasticienne multimédia, a fait son nid dans un hameau de la Drôme, accroché à une colline. C’est là qu’elle a élevé ses filles, bagarré pour la cause des femmes, lutté avec le collectif "Les Brasseurs de Cages", porté ses films…
Mais bien souvent, Doris a dévalé sa colline, sac fait à la hâte, pour aller filmer en d’autres points du globe, là où des peuples premiers se battent pour leur dignité au quotidien. Des films précieux sont nés.
Doris emmène aujourd’hui ses filles sur ses tournages, sur le toit du monde, au Ladakh, ou dans les manifestations locales contre le gaz de schiste.

Doris, ce désir de film, ce besoin impérieux de tourner ?


J’ai commencé par l’écriture, puis le rapport à l’image est venu assez vite. Mes expériences ont eu lieu sur la scène artistique canadienne, à Vancouver, essentiellement à travers les centres autogérés d’artistes d’où émanaient des formes créatives très libres.
Le rapport au cinéma documentaire est venu plus tard, à travers la découverte des films de Robert Kramer, Chris Marker, Frederick Wiseman ou Peter Watkins. Le rapport à la caméra s’est inscrit dans le prolongement d’un rapport au réel, donc d’un rapport au monde que je ne peux m’empêcher de scruter et de questionner en permanence. Plus que de désir de cinéma, je parlerais plutôt, en ce qui me concerne, de nécessité. Nécessité absolue, parfois.

Faire vos films aujourd’hui, ça fait partie de la bagarre ?


Oui, en effet, faire des films, c’est déjà une bagarre ! Pas à cause de la très grosse charge de travail que cela engendre, ou de l’incertitude permanente dans laquelle vit la réalisatrice que je suis, car ce sont des données inhérentes au choix de faire ce métier.
Ce que je trouve difficile, c’est la dégradation des conditions de production et la médiocrité du paysage télévisuel, dans lequel nos films ont beaucoup de mal à exister.
Du coup, il y a une asphyxie lente qui se produit et on doit parfois se résoudre au formatage pour pouvoir survivre. Je suis passionnée par mon métier mais je trouve qu’il est de plus en plus difficile de faire du cinéma.

Vous avez bourlingué dans beaucoup d’endroits différents de la planète ?


J’ai longtemps vécu et filmé au Canada, je vais depuis pas mal d’années en Australie où j’ai un projet en cours dédié aux Aborigènes. Il s’appelle pour le moment Never, never, et c’est une déambulation qui interroge la plus vieille mémoire du monde sur le mystère de la mort-renaissance. J’ai tourné Phoker Chomo, à la limite des mondes au Ladakh. Je vais là où je suis appelée par une histoire. Le film vient après.

Vous défendez une cause en particulier ?


Non, dans le sens où je ne suis pas « spécialisée » dans une cause. Ce que je défends, c’est le droit de tout être à vivre et à mourir dignement. Il se trouve que j’ai beaucoup travaillé avec les peuples premiers, car ils sont ceux qui subissent le préjudice le plus lourd du nouvel ordre mondial régi par les marchés financiers, mais à terme nous sommes tous menacés. Je pense que l’humanité entière est devenue une espèce menacée par sa propre capacité à l’autodestruction. Les dégâts infligés à la biosphère sont considérables et pour certains, irréversibles. Il y a un prix à payer pour cela.

Justement, vous tournez aussi près de chez vous, parce que cela s’impose !


Je sors le 2 avril un film sur le gaz de schiste, No gazaran, chroniques d’une mobilisation citoyenne, et je suis en effet mobilisée en tant que citoyenne sur cette problématique et celle de la transition énergétique. La société dans laquelle on vit, en Occident, s’est construite sur une énergie abondante et bon marché. Aujourd’hui, la donne a changé et on touche du doigt les limites physiques des ressources fossiles, mais également de l’impact de l’activité humaine sur la biosphère. Le citoyen est devenu un consommateur, il a oublié qu’il était issu et totalement dépendant du monde naturel. Et que finalement sa carte de crédit n’est qu’un morceau de plastique, donc un produit dérivé du pétrole, lui-même issu des hydrocarbures produits par le monde naturel…

Et après ?


Après, je vais travailler sur Le Sacrifice de K’iid K’iyaas (mais le titre va changer), une histoire qui se passe dans le Pacifique, chez les Indiens Haïdas, le peuple des totems, et qui parle des derniers arbres monumentaux de l’hémisphère nord. Une exploration du lien entre l’homme et la forêt. Et puis je continue de circuler avec Voyage en mémoires indiennes, tourné en 2005 avec Jo Béranger ; j’accompagne parfois la Couverture Vivante, ce magnifique travail collectif de femmes du monde entier. Et je rêve aussi…

Découvrir toute la filmographie de Doris sur son site, très complet : http://www.dorisbuttignol.fr/

La Couverture Vivante a fait l’objet d’un film de Doris, Tr’âmes, et on peut découvrir toute l’histoire de cette création collective internationale sur http://www.couverturevivante.org/

« J’ai été très impressionnée récemment par le film Atalaku, de Dieudo Hamadi, tourné pendant les élections présidentielles en 2011 au Congo, époustouflant ! » :
http://www.dailymotion.com/video/xyjrry_atalaku-extrait_shortfilms

«Je me pose parfois avec les livres d’Eliot Pattison et sa série dont le personnage principal est l’inspecteur Shan. Lisez Dans la gorge du dragon !
Sinon, je relis Doris Lessing, qui nous a quittés récemment et dont Le Carnet d’or reste aussi précieux qu’à la première lecture. »

Le dossier de presse de Voyage en mémoires indiennes : http://semainedespeuples.free.fr/images/DPVMI.pdf

Ces deux films sont proposés sur le site de Lardux Films, producteur et diffuseur atypique et engagé : http://www.lardux.com/spip.php?page=rubrique&id_rubrique=1&criteretri=date