Charles Veron
Charles Veron est un artisan qui fait ses films avec application et implication ; avec passion aussi.
« Je fais des films comme je vis ma vie de tous les jours. Je peux m’inventer un tournage sur la banquise arctique rien que pour me faire plaisir, et partir ensuite à Mayotte, révulsé par ce qui se passe sur cette île sous prétexte de départementalisation. C’est parfois difficile et parfois léger, parfois austère et parfois tendre, parfois réussi et parfois… bof, souvent ça se mélange. La vie, quoi ! »
Charles, le déclic du cinéma ?
Il y a très longtemps, j’ai participé à un concours de scénarios de courts-métrages. Le premier prix permettait au lauréat de réaliser son film. Je fus celui-là. Je n’ai plus la moindre trace ou copie (même vidéo) de ces 15 minutes tournées en Super 16 noir et blanc et je ne me rappelle que confusément ce qu’elles essayaient de raconter.
Mais je me souviens que l’énorme succès remporté auprès de la poignée de spectateurs (l’équipe du film plus quelques égarés) présents à la projection a changé le cours de ma vie, mettant fin à de nombreuses années d’errance universitaire, puis d’errance tout court.
C’est donc l’apprentissage…
Oui, je suis monté à Paris « faire » une école de cinéma ! Même si je n’y ai pas appris grand-chose, me semble-t-il, cela m’a crédibilisé aux yeux des autres. Puis il faut bosser, alors je deviens assistant trois mois sur l’émission Champs-Élysées de Michel Drucker. Le jour où on me demande de trouver à tout prix un ventilateur pour donner du mouvement aux jupes de Sylvie Vartan, je comprends que je ne suis pas de ce monde-là. Une autre expérience dans la pub me confirme aussi que je me trompe de voie, j’y fais moins d’un mois…
Survient cependant un premier petit film ?
Oui, c’est Graffitis, un 6 minutes sur l’émergence du hip-hop dans les années 1990.
J’y trouve du sens, je découvre à la fois vidéo et théâtre dans ces années-là. Puis je pars au Liban filmer la guerre, je m’achète une vraie caméra, j’ai l’idée de vendre mes images. Après Beyrouth, je suis bloqué à Chypre, puis je filme l’Intifada en Israël. Je tourne des images à Gaza. Je suis davantage à ma place, même si je ne deviens pas pour autant un militant de cette cause.
Et puis la Bretagne prend aussi sa place, un nouveau scénario s’impose ?
Je m’installe un moment à Bieuzy-les-Eaux, dans le Morbihan, pas bien loin de la rivière du Blavet. Là, je me mets à regarder vivre mes voisins, et parmi eux, trois frères, paysans et célibataires, Léon, Henri et Jo. J’ai envie de les filmer, je les piste depuis pas mal de temps, avec leur consentement. Nous parlons ensemble de tourner un « vrai film » et ils acceptent. Mais au bout de deux semaines de présence continue, tassés dans la cuisine avec le preneur de son, ils regardent ce projet d’un autre œil.
Pourtant, les projections vont être de vrais moments de bonheur ?
Oui, même si chacun des trois protagonistes réagit à sa façon : Jo refuse de venir, arguant qu’il se voit bien assez dans sa glace. Henri confirme et commente tout fort les propos qu’il tient dans le film. Léon est un peu sourd, un peu honteux, il trouve sûrement que la cuisine fait trop sale à l’écran… C’est lui le responsable ménage du trio… Mais le film touche tout le monde, et cela dure encore (Léon, Henri et Jo, 1997).
Vont s’enchaîner alors plein d’autres aventures de films, parfois très personnels ?
Mes rencontres et mes voyages vont faire le reste… C’est-à-dire tout !
Je vis presque un an au Bénin, où je tourne sur le vaudou. J’y repère un missionnaire qui parle bien aux Occidentaux de ce culte du vaudou. Son histoire me fascine et je décide, toujours en accord avec lui, d’en faire un film. Ce sera Je ne t’aimerais pas tant (2002), l’histoire d’une relation amoureuse et épistolaire entre ce missionnaire et son amour de jeunesse, resté en Bretagne. Aujourd’hui, j’ai encore un projet – au long cours – au Burkina Faso, autour de Thomas Sankara.
Beaucoup d’allers-retours entre ici, notamment, une Bretagne rurale, et des ports dans le monde entier…
Je porte un regard singulier, je crois, sur le monde du travail agricole avec Quand je dis que mon mec est ouvrier agricole, y a un blanc… (2000). Je pose mon sac, et ma caméra, dans des endroits très différents : Loctudy-Abidjan en 1998, Le Kolkhoze du lieutenant Schmidt, une enquête en Ukraine en 2001, Le Havre port breton ? en 2004, Posté à bord en 2009 ou Caribou Maoré en 2011, à Mayotte.
Filmographie
- 2011 Caribou Maoré
- 2009 Posté à bord
- 2007 Un cata pour l'Arctique
- 2006 Les fêlés de l'Atlantique
- 2004 Le Havre, port breton ?
- 2002 Je ne t'aimerais pas tant...
- 2001 Le kolkhose du Lieutenant Schmidt
- 2000 Quand je dis mon mec est ouvrier agricole, ya un blanc !
- 1998 Loctudy-Abidjan, aller simple
- 1997 Léon, Henri et Jo
Des livres :
- Le Garçon savoyard de Ramuz
- Les Ploucs de Youenn Cóic, une chronique paysanne parue en 1973, mais qui continue de me poursuivre…